Critique de Claude M.

Synthèse

Claude M. – 55 ans – master 2 sciences de l’éducation, formateur
Sensibilité littéraire : les classiques et la haute littérature, Modiano

VOLUMES I ET II*  ♥♥♥♥ 

Épisode 1  ♥♥♥♥ 

Épisode 2 ♥♥♥♥ 

Épisode 3 ♥♥♥ 

Épisode 4 ♥♥♥♥ 

* Le test 1 s’est limité aux deux 1ers volumes, chaque volume contient 2 épisodes

Premier épisode

♥♥♥♥

Ce premier livre installe d’emblée une atmosphère irréelle, difficile à situer dans le temps, d’une communauté vivant en autarcie. En témoignent l’irruption des cavaliers qui permet d’introduire le personnage clé de Djack, l’épisode de la fête bienheureuse (où l’on relève un caractère très exacerbé de l’écriture mais qui rend bien compte de sa dimension surréelle ou hypersensible), l’expérience du jeûne où se mêlent fantastique, spiritualité et science médicale rigoureuse, et bien sûr le cœur de l’intrigue fondé sur le mystère de Mongo au parfum métaphysique et incarné par le conflit moral insoluble que va endurer la mère de l’enfant élu, drainant une intensité dramatique tout au long du récit pour atteindre son paroxysme dans le dénouement final.
Cet aboutissement m’incite à mettre quatre cœurs sans hésitation, parce que j’ai été emporté par l’énergie du récit en le lisant pratiquement d’une traite jusqu’au bout, et que je n’ai pas été heurté au cours de ma lecture par des faiblesses ou des défauts d’écriture. Pour tout dire, j’y ai pris un grand plaisir et ce n’est qu’à la fin, lorsque j’ai refermé le livre, que j’ai réalisé que le développement de l’intensité dramatique et du flux émotionnel qui paraissent évidents sur le moment en raison de la grande fluidité et facilité de lecture, relève en réalité d’un art très maîtrisé.

Deuxième épisode

♥♥♥♥

Par esprit de tolérance, je suis ouvert à tous les courants de pensée, y compris spiritualiste, bien que je ne m’y sente pas trop à mon aise pour avoir une sensibilité plutôt matérialiste et terre à terre. Or le second volet prend très vite une tonalité spirituelle dans laquelle je ne me suis pas senti en résonance et qui m’a parfois paru difficile d’accès. Je pense à l’épisode initial situé dans le Cirque, où j’ai eu le sentiment d’être projeté dans le genre spécifique du roman d’initiation, avec l’enseignement qu’y délivre Zabir à Thomas et Carlos renouvelé à la fin du livre et où l’on peut noter des références parfois obsédantes aux notions d’harmonie et de contemplation. J’ai tout de même été réceptif au propos sur la « conscientisation du corps » qui développe une idée passionnante et qui me convainc que le reste doit probablement l’être tout autant, pour autant que l’on ait la capacité d’y avoir accès.
L’intensité dramatique ne faiblit toutefois pas. Avec l’irruption du personnage très noir d’Ungern, incarnation du mal absolu, nous nous retrouvons soudain plongés dans la thématique du pouvoir médiatique dans le monde de la Communication, développant en particulier l’idée d’une vérité maquillée et reconstruite destinée à « endormir » le peuple. Là, le récit devient beaucoup plus captivant, surtout dans la façon dont l’auteure utilise tout un univers symbolique et métaphorique pour mettre en relief des réalités actuelles du monde de la Communication auxquelles nous sommes confrontés et qui sont tout à fait judicieuses et pertinentes.

Troisième épisode

♥♥♥

Là encore, même remarque que dans le précédent volet. Les passages spirituels me laissent dans un état un peu vaporeux et perplexe, tandis que j’adhère de plus en plus à l’analyse sociétale de ce monde de la Communication qui est bien entendu déjà le nôtre. Avec une richesse métaphorique qui commence à livrer tous ses secrets à travers le dévoilement du mystère de Mongo en tant qu’Instrument, on assiste à un démontage des rouages de la Communication qui est une fois de plus extrêmement judicieux et pertinent.

Quatrième épisode

♥♥♥♥

Cette fois, j’accorde à nouveau volontiers quatre cœurs pour ce dernier épisode, et je les mets également à l’ensemble du livre pour son caractère très novateur qui rompt avec ce qui peut nous être proposé dans la majeure partie de la littérature contemporaine.
La grande force de ce dernier épisode tient assurément à l’immense leçon délivrée par le Dicteur aux deux jeunes Danseurs. À travers elle, le lecteur retourne lui aussi à l’école pour parcourir un panorama complet de l’état du monde avec les puissances majeures qui l’animent. Elle nous fait passer de l’autre côté du miroir médiatique, faisant ressortir les manipulations dénoncées dans les épisodes précédents avec encore plus de force, pour nous plonger dans une vision de la réalité basée sur les faits en opposition à ce qui relève d’un fantasme collectif entretenu par les médias dominants afin de masquer ces faits dérangeants. C’est du moins ce que le lecteur découvre au cours des pages, et j’avoue que j’ai été moi-même désarçonné par ce que j’ai appris que j’ignorais, et je me suis empressé d’aller vérifier ces faits dérangeants sur Internet… qui se sont tous avérés exacts. L’impact a été assez déstabilisant, surtout concernant le mythe de la croissance dénoncé par l’auteure, cette croyance en la croissance productive adorée comme une divinité qui serait la clé de la prospérité et du bonheur et que tous les médias et gouvernants ne cessent de rabâcher, alors que dans les faits elle est la cause de la souffrance et de la misère de l’humanité.
Ce livre a eu le pouvoir de me remettre en question, alors que j’étais moi-même un adorateur de la croissance depuis tant d’années. Mais il ne se contente pas de dénoncer le dysfonctionnement, il propose également d’y remédier, alliant à la vision désespérante de la catastrophe planétaire dans laquelle nous nous enfonçons la vision d’une issue possible enthousiasmante. Aussi le grand mérite que je reconnais à l’auteure est d’avoir su produire cette fable politique, parfois lourde à digérer dans sa complexité et son foisonnement d’informations neuves mais qui s’avèrent nécessaire à son procédé didactique. Car elle diffuse une lumière à l’intérieur des ténèbres qui fait naître chez le lecteur l’envie de réfléchir à de nouvelles utopies et s’extirper ainsi de la résignation collective « au moindre mal » quotidiennement véhiculée sur nos médias par les discours dominants.